mardi 11 novembre 2008

casinos

CASINOS INDIENS

AUX ETATS-UNIS


Depuis une quinzaine d’années, des tribus indiennes des Etats-Unis ont implanté des casinos sur leurs réserves. Voilà une activité pour le moins non-traditionnelle et connotée, avec quelque raison, de manière plutôt négative. Pourquoi et comment s’est-elle développée ? Quelles en sont les retombées économiques, politiques, sociologiques et humaines ?
Dans les années 1980, beaucoup d’Indiens se sont avisés du grand nombre de loteries, bingos et autres Las Vegas Nights organisés par toutes sortes d’organisations charitables afin de lever des fonds pour leurs oeuvres, et qui fonctionnaient avec l’autorisation des Etats. Ils ont demandé, et souvent obtenu, les mêmes autorisations. Puis certaines tribus ont voulu avoir de véritables casinos équipés de machines électroniques dont le rapport est bien supérieur à celui des simples bingos.


LA LOI SUR LE JEU INDIEN
En 1988, à l’initiative du sénateur d’Hawaï Daniel Inouye, président de la Commission sénatoriale pour les Affaires indiennes et ardent défenseur de la cause des indigènes américains, le Congrès des Etats-Unis adopte la loi de Réglementation du Jeu indien - Indian Gaming Regulatory Act.
Cette loi entend « donner une base légale au développement du jeu par les nations indiennes comme un moyen de promouvoir le développement économique des tribus et leur autosuffisance, ainsi que de renforcer les gouvernements tribaux ». Les casinos sont considérés par le législateur comme un moyen de pallier la misère et le sous-développement endémiques qui sévissent sur la plupart des réserves des Etats-Unis. Il est espéré qu’à terme le développement des casinos enrichira suffisamment certaines tribus pour que le versement de fonds fédéraux pour l’éducation, la santé, la police ne soit plus nécessaire.

Les jeux de hasard sont classés aux Etats-Unis en trois catégories.
La catégorie I comporte essentiellement les bingos, les jeux de cartes n’utilisant pas de dispositifs électriques, ainsi que tous les jeux indiens traditionnels sur lesquels ont parie de l’argent.
La seconde catégorie à trait à la roulette, au black-jack, ainsi qu’au poker et aux loteries.
La catégorie III comprend le poker électronique ou video-poker et les machines à sous utilisant des dispositifs électroniques, en anglais slot machines. On fait aussi souvent entrer dans cette catégorie les loteries utilisant des procédés électroniques. Cette nomenclature est fréquemment source de contestation.

La loi de 1988 fixe avec précision les conditions d’ouverture d’un casino sur une réserve. Elle veut mettre les casinos en conformité tant avec les lois fédérales qu’avec les lois particulières de chaque Etat. Elle s’efforce ainsi de ne pas léser les intérêts déjà en place, non seulement ceux des casinos, mais aussi des systèmes de pari-mutuel sur les courses de chevaux ou de lévriers.
Les jeux de catégorie III sont les plus rémunérateurs, tant pour le casino que pour le joueur quand il gagne. C’est de ces machines à sous électroniques dont tiennent à se doter les tribus qui veulent ouvrir un casino. De nombreux conflits naissent à propos de la qualification des jeux. Les Etats mettent dans la catégorie III des jeux que les Indiens considèrent comme de catégorie II. Ainsi, les différentes formes de loteries sont-elles particulièrement difficiles à classer.
Quand la condition de conformité à la législation de l’Etat est remplie, la loi prévoit qu’une « négociation de bonne foi » doit être conduite entre l’Etat et la tribu qui veut ouvrir un casino de classe III. Il s’agit de fixer les modalités pratiques de l’implantation du casino et sa réglementation, en particulier en ce qui concerne les problèmes de sécurité et de responsabilité. Comme rien n’est plus difficile à démontrer que la « bonne foi » ou, le plus souvent, son absence, ces négociations donnent fréquemment lieu à de longs procès devant les cours fédérales, les Indiens soutenant que l’Etat fait à leur casino une opposition systématique afin de protéger les intérêts des établissements de jeu non-indiens, voire par simple hostilité raciste.
Le gouvernement fédéral s’est efforcé jusque là de faire appliquer la loi de 1988, l’ouverture d’un casino par une tribu qui en fait la demande devant être la règle et le refus d’ouverture l’exception. En juin 1992, le ministre de l’intérieur, lors d’un voyage à Rapid City, Dakota du Sud, soutenait les casinos indiens comme « un moyen légitime de développer l’économie indienne », ajoutant que les Etats n’étaient pas autorisés à exercer un contrôle sur les Indiens.
En novembre de la même année, le sénateur Inouye, estimant que les Etats n’avaient pas à bloquer l’application d’une loi fédérale, déposait au Sénat un projet de loi prévoyant que l’Etat fédéral se substituerait aux Etats chaque fois que ceux-ci refuseraient de négocier avec les tribus à propos de l’ouverture ou de la réglementation d’un casino. Cette proposition de loi que les Indiens soutenaient et qui aurait permis de débloquer les nombreuses plaintes déposées par les Indiens à propos des casinos, a soulevé la vive opposition de certains sénateurs influents et n’a finalement jamais été présentée au vote du Congrès.


« L’ARRET SEMINOLE »
Au début de l’année 1996, la Cour Suprême des Etats-Unis rend une décision qui a toutes les chances de faire jurisprudence et qui a déjà eu de graves conséquences non seulement sur la capacité des tribus à ouvrir un casino, mais aussi sur la souveraineté des nations indiennes aux Etats-Unis.
Les Seminole avaient porté plainte contre l’Etat de Floride pour son refus de négocier l’ouverture d’un casino de classe III. Mais l’Etat de Floride, se basant sur le 11ème Amendement de la Constitution, conteste devant la Cour Suprême la constitutionnalité de la loi de 1988 qui autorise la tribu à l’attaquer en justice. Le 11ème Amendement stipule qu’une autorité souveraine - ici l’Etat de Floride - ne peut être attaquée en justice sans son consentement. L’« Arrêt Seminole » porte un coup sévère à la souveraineté indienne. Les nations indiennes possèdent pourtant la même « immunité souveraine » que les Etats, une immunité que certains élus au Congrès, comme le sénateur Slade Gorton, élu républicain de l’Etat de Washington, voudraient leur voir abandonner.


L’OPPOSITION DES INTERETS PRIVES
Il va sans dire que beaucoup d’Etats font toutes sortes de difficultés aux tribus qui souhaitent ouvrir un casino. Il y a d’abord l’attitude simplement malveillante et qu’il faut bien appeler raciste à l’égard des Indiens. Ceux qui accusent les Indiens d’être des « assistés » et des « parasites » sont souvent les premiers à combattre les casinos qui, justement, peuvent les aider à sortir de cette situation d’assistance.
L’opposition est avant tout d’ordre économique. Selon la National Indian Gaming Association (NIGA) qui agit comme un observatoire du fonctionnement des casinos indiens, l’ensemble des revenus générés par ces casinos ne représente que 7% de tous les revenus du jeu aux Etats-Unis. Les loteries et autre formes de jeux autorisées par les Etats généralement à des fins charitables en rapportent près de 30%, le reste étant représenté par les entreprises commerciales. En 1994, les loteries organisées par le seul Etat du Texas ont rapporté plus d’argent que tous les casinos indiens des Etats-Unis.
NIGA rappelait en 1998 que seulement 130 tribus, sur plus de 550 reconnues au niveau fédéral, possédaient des casinos de classe III, les autres n’ayant que de simples bingos. On verra que tous les casinos de classe III sont bien loin d’avoir apporté la prospérité aux tribus qui en possèdent.
Ces chiffres montrent que le jeu indien n’a pas pris une énorme extension comme ses ennemis et des médias avides de sensationnel voudraient le faire croire et que tous les Indiens ne sont pas devenus riches grâce aux casinos.

Si, considéré globalement, le jeu indien ne présente pas un fort impact économique, il peut cependant créer localement une concurrence non négligeable.
En 1992, la Coalition pour la Protection des Droits des Etats et des Communautés est constituée dans le but de « clarifier la loi sur les casinos indiens » - il s’agit d’obtenir du Congrès l’amendement, dans un sens restrictif, de la loi de 1988. Sous cette appellation innocente, personne n’ignore que se cache la Nevada Resort Association qui tient les casinos de Las Vegas. L’association fait appel aux services de la firme Burson-Marstellar, l’une des entreprises de relations publiques les plus importantes et les plus chères des Etats-Unis afin de mener un intense effort de lobbying auprès du Congrès pour empêcher l’ouverture de nouveaux casinos indiens et, dans la mesure du possible, obtenir la fermeture des casinos déjà existants.
L’industrie du jeu de Las Vegas compte ses meilleurs soutiens dans les rangs des républicains, majoritaires au Congrès depuis 1995. Des réceptions somptueuses, des voyages, des cadeaux sont offerts aux membres du Congrès dont on peut espérer qu’ils soutiendront une législation favorable au jeu commercial en éliminant la concurrence indienne.
Cette campagne porte ses fruits. Les élus des Etats où le jeu est puissamment implanté (Nevada, New-York, New-Jersey, Connecticut) s’opposent violemment au développement des casinos indiens en général et dans leur Etat en particulier.
Le député Gerald Solomon (Etat de New-York) dépose en 1996 devant la Chambre des Représentants une proposition de loi qui prévoit de demander l’avis des communautés environnantes pour l’ouverture d’un casino sur une réserve. Même les organisateurs de courses de chevaux ou de lévriers peuvent être appelés à donner leur avis. Par contre, le député Solomon ne prévoit pas, pour l’ouverture d’un établissement de jeu ou d’un champ de courses géré par un non-Indien, de solliciter l’avis des tribus de la région qui possèdent déjà un casino. La proposition Solomon a été rejetée par la Chambre l’année suivante.
Les Narragansett de l’Etat de Rhode Island se sont vus refuser le droit d’ouvrir sur leur réserve un casino de classe II - sans machines à sous. Le sénateur John Chafee a obtenu du Congrès cette curieuse interdiction sous la forme d’un amendement à la loi de finance pour l’année 1997. Selon le sénateur Chafee, les terres narragansett du Rhode Island ne sont pas Indian land et la loi de 1988 ne s’y applique pas. Avant d’achever son premier mandat, le président Clinton avait apposé sa signature sur cette loi dirigée contre la nation narragansett. La tribu, qui vivait là bien longtemps avant que les Anglais ne débarquent au début du XVIIème siècle, a manifesté contre cette décision inique, sans succès.
Aux élections générales de novembre 1998, les électeurs californiens sont appelés à se prononcer sur la « Proposition 5 » qui autorise les jeux de classe III dans les casinos indiens de Californie. Elle est soutenue par des Blancs qui voient les casinos indiens comme un bon outil de développement économique dont beaucoup d’entre eux peuvent bénéficier. La « Proposition 5 » est adoptée à une confortable majorité. Mais Las Vegas Resort Association qui a mené une campagne d’opposition très agressive et qui craint la concurrence des jeux californiens implantés dans une région particulièrement accueillante au tourisme, porte plainte devant la Cour suprême de Californie qui doit se prononcer non seulement sur la question du jeu, mais aussi les limites de la souveraineté indienne aux Etats-Unis.
En septembre 1999, la Cour suprême de Californie déclare illégale la « Proposition 5 ». Elle interdit au gouverneur de Californie de signer des contrats avec les tribus pour l’ouverture de casinos et, pour faire bonne mesure, elle ordonne la saisie des 15 000 machines à sous qui fonctionnent déjà sur les petites réserves de Californie. Certains juristes estiment que la Cour a outrepassé ses droits en allant contre la volonté des électeurs de l’Etat. Le gouverneur de Californie conclut cependant avec les tribus concernées des contrats provisoires qui leur permettent de continuer à fonctionner. Le cas ira probablement devant la Cour suprême des Etats-Unis. Les Indiens de Californie, descendants des survivants des petites tribus qui ont subit d’abord l’esclavage dans les missions espagnoles, puis les massacres perpétrés du temps de la Ruée vers l’Or, sont décidés à lutter pour leur survie économique et leur souveraineté.
Les nations indiennes de Californie ont aussitôt préparé une nouvelle proposition qui doit être soumise en mars 2 000 au vote des électeurs de l’Etat. Lors d’une émission de télévision, le président des Luiseno s’était adressé ainsi aux Californiens : « S’il vous plaît, aidez-nous à faire de l’autonomie indienne une réalité ». Cette « Proposition 1 A » reprend dans l’ensemble les termes de la « Proposition 5 » et prévoit en outre d’ajouter à la constitution californienne un amendement qui autorise toutes des formes de jeux sur les réserves de l’Etat. Le 7 mars 2 000, la « Proposition 1 A » est adoptée à plus de 60%. Il sera maintenant très difficile à la Cour suprême de Californie d’aller une seconde fois contre un vote populaire aussi massif.

En juin 1999, après deux ans d’enquête, une Commission nationale d’évaluation sur le jeu rend son rapport au président Clinton. Composée en majorité de parlementaires connus pour leur hostilité au jeu indien, ses conclusions ne peuvent surprendre. Elle conseille d’imposer un moratoire sur la création de nouveaux casinos et de loteries aux Etats-Unis et recommande de renforcer les contrôles sur les casinos indiens et de permettre aux Etats de porter plainte contre les tribus à propos de la réglementation de leurs casinos. Les Indiens craignent que cette recommandation ne nuise à l’ouverture de casinos actuellement en négociation et ne fragilise les établissements existants.


MENACE SUR LES TERRES INDIENNES
Les élus des Etats particulièrement « sensibles » aux casinos indiens s’opposent à ce que des tribus soient autorisées à acheter des terres hors de leurs réserves de crainte qu’elles n’y implantent un casino.
C’est en ce sens qu’a statué en 1996 la 8ème Cour d’appel dans un procès intenté par la petite ville d’Oacoma située au sud de la réserve lakota de Lower Brulé, au Dakota du Sud, une région où aucun grand casino ne fonctionne.
La tribu avait acheté sur ses fonds propres un terrain de 35 hectares à un propriétaire privé. Elle avait obtenu du ministre de l’intérieur sa mise sous statut fédéral et son intégration à la réserve comme le prévoit la loi de Réorganisation indienne de 1934. La Cour d’appel a estimé que ce transfert lésait les intérêts de l’Etat du Dakota du Sud et qu’il était illégal. En effet, les activités commerciales qui se déroulent sur les réserves, donc celles des casinos, sont exemptées des impôts levés par les Etats.
Cet arrêt risque d’avoir de graves conséquences. Les terres acquises par une tribu depuis 1934 vont-elles perdre leur statut fédéral ? Les réserves elles-mêmes pourront-elles le conserver ? La non-taxation par les Etats des activités économiques des réserves est une conséquence des traités conclus entre les Etats-Unis et les tribus indiennes. Les réserves ne peuvent être ni politiquement, ni fiscalement soumises aux Etats sur lesquels elles sont situées. Les nations indiennes n’ont à faire qu’au seul gouvernement fédéral par l’intermédiaire du Bureau des Affaires indiennes.
Le projet de taxer les profits des casinos indiens est contraire aux traités qui sont pourtant considérés par la Constitution américaine comme la loi suprême du pays. Il est aussi moralement injuste. En effet, comme le faisait remarquer le Congrès National des Indiens d’Amérique, la plus importante des organisations indiennes des Etats-Unis, les bénéfices des casinos sont utilisés au profit des communautés indiennes, tandis que ceux des casinos des Blancs vont dans les poches de leurs actionnaires qui ne comptent généralement pas parmi les plus pauvres des Américains.


VERS UNE TAXATION DES CASINOS INDIENS ?
En mars 1994, le gouvernement se propose de mettre une taxe de 4% sur les casinos indiens pour financer l’aide sociale. Par contre, les loteries organisées par les Etats et les organisations charitables en sont exemptées. Quand les Indiens demandent pourquoi, on leur répond que ces loteries aident les enfants, les personnes âgées. Ils font alors remarquer les bénéfices des casinos indiens servent à financer des écoles, des services sociaux, des adductions d’eau, surtout depuis que les crédits fédéraux destinées aux Indiens ont été fortement réduits sous la présidence Reagan et, depuis 1995, par le Congrès à majorité républicaine.
En juillet 1995, le Congrès déclare vouloir connaître les revenus des casinos indiens afin de justifier une réduction, voire une suppression des subventions fédérales aux tribus qui possèdent des casinos. Peu de tribus ont accepté de publier leurs comptes. Pourtant en 1998, les Oneida de l’Etat de New-York décidaient de refuser les crédits publics qui leurs étaient attribués, disant que leur développement économique favorable - qui comprend un casino - leur permettait de s’en passer. Mais ils demandaient que ces fonds ne soient pas reversés dans les caisses du Trésor, mais distribués aux autres tribus de l’Etat.
Certains élus au Congrès estiment que les tribus « riches » doivent partager leurs revenus avec les tribus « pauvres » afin de décharger le contribuable américain des subventions qui leur sont versées. Le nombre de ces tribus fortunées étant très petit, elles ne pourraient guère compenser la pauvreté du plus grand nombre, même en leur offrant une grande partie de leurs revenus.
Les Indiens s’opposent à cette idée, rappelant que les Etats-Unis ont des obligations spécifiques envers les Indiens et que le succès de tel ou tel casino ne peut les décharger de ces obligations. Ils ajoutent: « Où voit-on dans la société blanche une telle solidarité ? Voit-on les milliardaires, les riches entreprises partager leur revenus avec les plus pauvres qui couchent dans les rues ? » Pourtant, les Indiens ne se montrent pas égoïstes. Beaucoup de casinos indiens donnent à des oeuvres charitables. Les Potawatomi de Forest County, au Wisconsin, ont décidé d’utiliser une part des revenus de leur casino au développement des communautés locales, à la promotion du tourisme, aux actions de bienfaisance et au partage avec des tribus moins favorisées qu’eux. En juillet 1998, ils ont offert un gros chèque aux Chippewa de Red Cliff. C’est un mouvement de solidarité encore limité mais qui semble se développer.
En septembre de la même année, une proposition pour taxer les casinos indiens au taux énorme de 35% est adoptée par la Chambre des Représentants, mais repoussée par le Sénat. La puissante manifestation des leaders indiens à Washington dans l’été 1995 y est certainement pour quelque chose. Ils protestaient contre une nouvelle réduction des budgets indiens et la menace de taxation des casinos, parlant d’une politique de « terminaison » des tribus semblable à celle des années 1950-60. Les Indiens soutiennent que ni le pouvoir fédéral ni les Etats n’ont le droit de taxer les profits des entreprises fonctionnant sur les réserves. Cela est contraire à l’esprit et à la lettre des traités signés par les tribus quand elles ont fait la paix avec le gouvernement et ont été contraintes d’abandonner des millions d’hectares de leurs territoires traditionnels. Les Indiens ne manquent jamais de rappeler qu’ils ne sont pas un simple groupement d’intérêts privés ou une minorité ethnique comme les autres, mais que l’Amérique a conclu avec eux des contrats spécifiques, des traités signés entre nations souveraines.
En mai 1997, les partisans de la taxation des casinos indiens reviennent en force. Le président de la Commission des Finances du Sénat veut imposer une taxe de 34% sur les casinos et autres entreprises tribales installées sur les réserves. Les discussions qui se déroulent à la commission révèlent que ce très lourd impôt qui frapperait une économie indienne déjà si faible doit aider à compenser les 135 milliards de dollars d’allégements d’impôts consentis depuis deux ans aux contribuables les plus aisés par le Congrès républicain. Faire payer les plus pauvres pour les riches, c’est la solidarité que préconisent les Républicains. L’émotion est très vive sur les réserves et plusieurs tribus songent déjà à une riposte devant les tribunaux. Cette scandaleuse proposition, connue sous le nom d’ « amendement Archer », est heureusement repoussée par le Sénat dans l’été 1997. Elle s’était révélée inconstitutionnelle et aurait pu être attaquée en justice.

Une taxation qui ne dit pas son nom est parfois imposée par les Etats au moment de la négociation des conditions d’ouverture d’un casino.
Au printemps 1997, l’assemblée législative du Nouveau-Mexique légalise les casinos indiens de l’Etat. Mais quelques mois plus tard, l’Etat impose aux huit casinos déjà ouverts, sous menace de fermeture immédiate, une taxe annuelle qui représente 16% de leurs bénéfices, soutenant que c’était là l’une des conditions de leur légalisation. Les Indiens protestent contre cet impôt illégal, menaçant de barrer les routes de l’Etat. Mais ils finissent par se soumette et acceptent de payer. Seuls les Apache Mescalero refusent. Menacés de saisie, ils doivent fermer leur casino, mettant brutalement 350 personnes au chômage.
L’Etat du Wisconsin n’est pas en reste. Au début de 1999, les Chippewa de la réserve de Red Cliff voient le contrat de cinq ans signé avec l’Etat pour le fonctionnement de leur casino arriver à expiration. Pour le renouveler, le Wisconsin veut leur imposer une taxe que se monterait annuellement à près de 100 000 dollars, ce qui reviendrait à leur prendre 75% de leur bénéfices. Durant ces dernières années, l’ensemble des onze tribus du Wisconsin qui ont des casinos versait déjà à l’Etat 350 000 dollars par an. Si elles acceptaient les nouveaux contrats que le Wisconsin veut leur imposer, leurs versements se monteraient à 30 millions de dollars. Les nations indiennes du Wisconsin recherchent, jusque-là sans succès, l’appui du ministre de l’intérieur, censé les défendre.


INFILTRES PAR LA MAFIA ?
La principale accusation portée contre les casinos indiens est d’être « infiltrés par le crime organisé » c’est-à-dire la mafia. Ils ne le sont pas plus que les autres établissements de jeux et probablement beaucoup moins. La plupart sont beaucoup trop petits pour intéresser les gangsters de haut vol. Le FBI et la police des jeux, ainsi que les services de lutte contre la fausse monnaie, les surveillent de tellement près, justement pour surprendre le crime organisé, que ce serait à désespérer si celui-ci parvenait à s’y infiltrer. Le ministère de l’intérieur lui-même le reconnaît.
Des agents du FBI, que l’on peut difficilement soupçonner de sympathies pro-indiennes, ont déjà témoigné à six reprises devant le Congrès pour affirmer qu’il n’y avait pas d’infiltration mafieuse décelable dans les casinos indiens.
Les casinos indiens de la côte atlantique ont été pendant des années la cible d’une violente campagne de diffamation de la part de Donald Trump, l’un des hommes les plus riches du monde, le nabab du Taj Mahal et autres casinos géants d’Atlantic City. Appelé à témoigner devant une commission sénatoriale en octobre 1993, Donald Trump n’a pu citer aucun exemple convainquant des malversations dont il accusait les gestionnaires de plusieurs casinos indiens et ses accusations ont tourné court.
Des allégations mensongères tentent de discréditer et de déstabiliser le jeu indien. En 1994, le bruit avait couru que les machines à sous des casinos indiens étaient « trafiquées », des accusations qui n’ont nulle part été prouvées. Les Crow, qui ont un casino près du site de Little Bighorn, avaient été mis en cause. En effet, en janvier 1997, des employés du casino crow ont été inculpés pour avoir inventé un astucieux système pour puiser dans la caisse, mais au détriment de la tribu et non des joueurs.
Les Indiens eux-mêmes qui vivent et travaillent sur le terrain exercent leur propre surveillance. A plusieurs reprises, des employés des casinos ont été sanctionnés par la tribu et déférés devant les cours tribales ou fédérales. Au printemps 1994, les Lummi de l’Etat de Washington découvraient de graves malversations imputables à des employés de leur casino. Le FBI avait été alerté et les coupables arrêtés.
Relisons ce que disait Lance Henson, Cheyenne du Sud et poète, dans une interview donnée en 1994 dans une librairie de Vincennes : « Ma tribu vient juste d’ouvrir un casino. Nous sommes profondément traditionalistes. Si ce casino devait d’une manière quelconque être lié au crime organisé, ma société guerrière (les Dog Soldiers cheyenne) y mettrait le feu. Nous ne voulons pas que nos rituels soient mis en péril ».
En 1996, une conférence nationale sur le jeu indien réunissait des fonctionnaires du FBI et des représentants des tribus qui possèdent un casino afin d’organiser la lutte contre les détournement de fonds et escroqueries diverses qui peuvent se produire dans un casino. Le FBI a de nouveau reconnu que l’infiltration mafieuse dans le jeu indien était restée extrêmement limitée. La conférence a pris des mesures pour aider les tribus a exercer efficacement leur propre contrôle, en créant des stages de formation pour le personnel tribal, en développant la connaissance de la législation et en faisant la promotion d’une image positive du jeu indien. Deux ans plus tard, un groupe de juristes travaillant pour Economic Resource Group Inc., une firme privée du Massachusetts, rendait les conclusions, très positives en termes économiques, de son enquête sur le développement du jeu indien aux Etats-Unis.
La Commission nationale pour le Jeu indien (National Indian Gaming Commission - NIGC), un organisme fédéral de contrôle institué par la loi de 1988, se réunit régulièrement pour exercer son rôle de régulation et de conseil.
En septembre 1998, NIGC tenait une audition publique à Rapid City, posant les critères d’une auto-régulation et d’un contrôle interne renforcés des casinos indiens. Ce sont là des conditions indispensables à l’intégrité des établissements et à la régularité du jeu, donc à la confiance que leur porte leur clientèle. La commission contrôle 300 établissements de jeu dont plus de la moitié ne sont que des bingos. Elle entend répondre aux critiques prétendant que le jeu indien n’est pas réglementé.
Des tribus ont été escroquées par des « managers » sans scrupules généralement non-indiens. Mais il ne faut pas confondre être victime de malversations et en être coupable. L’amalgame est vite fait. Il est certain que des tribus, dans leur hâte à ouvrir un casino, se sont adressées à des gestionnaires qui ne donnaient pas toutes garanties d’honnêteté. En 1996, Pat-4 Inc., une compagnie du New-Jersey spécialisée dans la gestion des casinos indiens, était inculpée de violation des lois fédérales pour avoir fourni illégalement des machines à sous à six tribus chippewa du Michigan. Les Indiens avaient payé ces machines un prix exorbitant. Afin de diminuer ces risques, NIGC ne donne son autorisation d’ouverture d’un casino qu’après avoir examiné les termes des contrats passés entre les tribus et les firmes gestionnaires et mené une enquête sur ces firmes.
La plupart des contrats de gestion prévoient de laisser à la tribu 60% des bénéfices nets du casino, mais ce chiffre n’est pas toujours respecté, et pas uniquement à cause de la malhonnêteté des gestionnaires. Le temps nécessaire au remboursement aux banques des énormes frais engagés pour l’implantation, la construction et l’équipement d’un casino est souvent sous-estimé. Un casino, même rentable et bien géré, ne commence à rapporter de bénéfices qu’au bout de cinq ou six ans.

Toutes les réserves indiennes ne peuvent avoir un casino. Une mauvaise situation géographique, une infrastructure insuffisante, un cadre peu attrayant, conduiront inévitablement le casino tribal à l’échec. Un casino est avant tout un piège à touristes. Le touriste, joueur potentiel, ne viendra que s’il dispose de routes en bon état, ce qui est loin d’être le cas sur les réserves. Il ne viendra que si la région présente d’autres attraits touristiques, il ne restera que s’il dispose d’un accueil hôtelier convenable, de loisirs annexes. La plupart des réserves sont isolées, mal desservies par les routes, sous-équipées, privées du personnel compétent. Seul un petit nombre de tribus peut développer des casinos rentables. Les casinos qui rapportent le plus sont tous situés à proximité des grandes villes, dans les zones fortement urbanisées, sur les grandes voies de communication.
Les Pequot du Connecticut en sont le meilleur exemple.


CASINO PEQUOT
Faisons un peu d’histoire. Les Pequot vivaient sur les côtes de l’actuel Connecticut. Pour leur malheur, ils ont eu à faire aux Puritains anglais débarqués du May Flower en 1620 et qui avaient établi les colonies de Plymouth et de Massachusetts Bay.
Les Anglais convoitent le territoire pequot et les incidents se multiplient. En juin 1637, l’armée et les colons rassemblent leurs forces et, aidés de plusieurs centaines de Narragansett et de Mohegan, ils attaquent un gros village pequot défendu par de solides palissades. Ne parvenant pas à s’emparer du village, les officiers anglais ont l’idée de lancer des torches enflammées sur les wigwams de chaume. Le village qui abrite 800 Pequot n’est bientôt plus qu’un immense brasier. Tous ceux qui tentent de fuir sont abattus par les mousquets des Anglais. « C’était un spectacle terrible de les voir ainsi griller dans le feu que les flots de leur sang ne parvenaient pas à éteindre », raconte l’un des officiers. Il écrira peu après : « Nous savions ce que nous faisions car la lumière de Dieu nous éclairait ». Il remarque que les Narragansett, pourtant rompus aux cruautés de la guerre indienne, sont épouvantés par la férocité des Anglais envers les non combattants et marquent leur désapprobation.
En état de choc, les Pequot des autres villages se dispersent. Plus de mille Indiens sont assiégés dans un marais. Ceux qui se rendent sont mis en esclavage, les hommes envoyés aux Antilles, les femmes et les enfants « offerts » aux colons. Les quelques centaines de Pequot qui se cachent encore dans les forêts sont traqués par les Anglais et leurs alliés indiens. En 1640, la nation pequot a complètement disparu.
Descendants des prisonniers esclaves, des Pequot ont pourtant survécu. Au fil du temps, ils se sont métissés avec des Noirs et des Blancs. En 1983, cinq cents personnes qui ont pu prouver une lointaine ascendance pequot réussissent à se faire reconnaître comme tribu et à récupérer un petit territoire sur la côte du Connecticut. C’est là qu’ils fondent en 1991, grâce à l’aide de fonds provenant des Emirats arabes, Foxwoods Casino qui se révélera rapidement comme le casino indien le plus florissant des Etats-Unis. En trois ans, les Pequot ont remboursé l’investissement de départ et les intérêts.
Foxwoods Casino fonctionne 24h/24h, 365 jours par an et il est toujours plein. Les bâtiments qui abritent le casino, l’hôtel, le restaurant, les bars, les dancings, les salles de réunion et d’exposition sont d’un luxe inouï, splendidement décorés de peintures et de statues sur des thèmes indiens, réalisées par les meilleurs artistes. Le restaurant rivalise avec les meilleures tables de la Côte Est. Les hôtesses et les serveuses sont des jeunes femmes blondes vêtues de mini-robes de daim, montées sur talons aiguilles et coiffées d’une plume.
Maintenant, les Pequot sont riches. Les membres de la tribu, pratiquement tous employés au casino ou dans l’administration tribale, vivent dans de belles maisons entourées de verdure. Le casino, les divers services de la réserve emploient des centaines de non-Indiens. La tribu soutient financièrement les campagnes électorales du parti démocrate et le président du conseil tribal dîne à la Maison Blanche. Les Pequot ont donné 10 millions de dollars au Musée de l’Indien d’Amérique qui doit être construit à Washington au début du XXIème siècle. Ils ont racheté quelques terres pour agrandir leur réserve et cherchent à en acquérir de nouvelles, mais ils se heurtent à l’opposition de l’Etat du Connecticut et de la ville voisine de Ledyard.
Les Pequot jouent habilement de leur ascendance indienne pourtant fort lointaine. Tous les ans au début de septembre, ils organisent à l’occasion de la Fête du Maïs Vert un immense pow wow où se déroule le plus grand concours de danse indienne des Etats-Unis, doté de centaines de milliers de dollars de prix, au cours duquel se produisent les meilleurs musiciens et artistes indiens. Les Pequot ont financé en 1998 le film indien Naturaly Native. Des films réalisés par des Indiens sont souvent projetés en avant-première au casino de Foxwoods, devenu un important lieu de rayonnement de la culture indienne.
Les Pequot versent tous les ans des centaines de milliers de dollars à l’Etat du Connecticut pour se réserver l’exclusivité des activités de casino dans l’Etat. Pourtant, ils ont aidé les Mohegan, leurs anciens ennemis, a créer Sun Casino, inauguré le 8 octobre 1996 en face de Foxwoods Casino, de l’autre côté de la rivière Connecticut. Solidarité indienne ? Oubli des conflits historiques ? Les Pequot et leurs dollars sont les maîtres du jeu. Naturellement, les propriétaires des casinos du New-Jersey voisin étouffent de colère.
Lance Henson, dans son interview de 1994, nous raconte comment les Pequot ont fort proprement mis à la porte des représentants d’une mafia venus leur proposer leur « protection ». Inutile de dire que les Pequot dépensent d’énormes sommes en assurance contre d’éventuels incendies et autres attentats toujours possibles.
Mais les Pequot et leur fulgurante réussite sont bien loin d’être représentatifs de toutes les tribus qui ont ouvert des casinos.


DES RETOMBEES ECONOMIQUES FAVORABLES
On peut dire qu’il n’est guère d’exemple où les revenus d’un casino n’ont pas bénéficié d’une manière ou d’une autre à la communauté tribale. Partout où les casinos ont connu la réussite, même modeste, les conditions de vie de la tribu se sont améliorées.
Les casinos créent des emplois. Un grand casino emploie plusieurs centaines de personnes, allant des croupiers au personnel de surveillance et de maintenance, en passant par la restauration, le secrétariat, la comptabilité, la vente d’artisanat, l’animation, etc. En plus du bar et du restaurant indispensables, beaucoup de casinos se sont adjoint un hôtel, des salles de spectacle et de conférence, des boutiques, des équipements sportifs et de loisirs.
La priorité d’embauche est normalement donnée aux membres de la tribu qui postulent en grand nombre. Mais les casinos indiens doivent souvent faire appel à des non-Indiens ou à des Indiens d’autres tribus quand ils ne trouvent pas sur place des personnes suffisamment formées aux emplois proposés. Aussi, la plupart des grands collèges tribaux ont maintenant des programmes de formation dans ces spécialités.
De nombreuses familles indiennes ont pu, grâce aux retombées directes et indirectes des casinos, sortir du cycle infernal de l’aide sociale et de la dépendance économique. Durant l’année 1994, les réserves du Dakota du Sud qui avaient des casinos depuis plus de quatre ans avaient vu leur taux de chômage baisser de 10,3 %, un chiffre qui a encore progressé depuis.
Ayant des revenus assurés, les employés des casinos font marcher le commerce. Un accroissement du pouvoir d’achat des familles indiennes profite à l’économie de la réserve, mais surtout à leurs voisins non-indiens. Les commerces, les services sont encore peu développés sur les réserves, bien qu’un effort important soit fait en ce sens par un système local de prêts aux très petites entreprises. Les Indiens font leurs achats importants hors de la réserve. L’économie non-indienne profite à la fois des emplois créés et des fonds générés par les casinos. C’est pourquoi ceux-ci sont souvent bien tolérés, voire soutenus, par la population blanche voisine des réserves. Quand, en mai 1992, les Yavapaï de la réserve de Fort McDowell ont manifesté contre la saisie pour illégalité du matériel électronique de leur casino, une enquête a révélé qu’ils étaient soutenus par 60% des électeurs d’Arizona.
Les exemples abondent de réalisations qui ont pu voir le jour grâce aux revenus d’un casino tribal.
Des maisons de retraite, des cliniques sont construites, des routes réparées, des systèmes d’égout installés, des ambulances et des voitures de pompiers achetées, des commerces ouverts sur les réserves. Les dettes de la tribu sont remboursées, des programmes contre l’alcool et la drogue sont créés, des refuges ouverts pour les enfants victimes de violence ou d’abandon. A l’automne 1996, le casino de la réserve de Standing Rock, Dakota du Sud, a fait don de 81 000 dollars à Lake Oahe Home for Children qui accueille des enfants maltraités retirés à leur famille. Certaines tribus ont pu, grâce à leur casino, acheter et installer des bisons et des élans sur leurs terres.
Les nations du Wisconsin, Chippewa et Winnebago, ont publié en décembre 1997 une étude portant sur l’impact de leurs casinos sur l’économie de l’Etat. Elles ont créé 15 000 emplois, y compris parmi les non-Indiens, et de nombreuses infrastructures et services sur leurs réserves. Les fonds mis en circulation par les casinos ont généré 100 millions de dollars de taxes pour l’ensemble de l’Etat du Wisconsin sur une période de quatre ans. A la fin de 1997, le nombre de personnes recevant l’aide sociale avait diminué de 28% dans les régions proches d’un casino tribal, contre seulement 15% dans les autres régions. Au Minnesota, les Chippewa de la réserve de Mille Lacs ont ouvert une école pouvant accueillir 270 élèves, entièrement financée par les revenus de leur casino. Cet auto-financement leur laisse une grande liberté. En plus des cursus classiques, la langue et la culture chippewa y seront enseignées.
Omaha Casino a permis aux Omaha du Nebraska de faire d’importants investissements qui ont sensiblement amélioré leur qualité de vie. Le casino se trouve hors de la réserve omaha, sur un petit territoire que la tribu possède en Iowa sur la rive orientale du Missouri. Il fonctionne depuis 1992 et a vu ses bénéfices augmenter régulièrement jusqu’à ces dernières années. Dès la fin de 1994, une étude menée par les élus du Nebraska attestait la réussite du casino omaha et de son impact favorable sur l’économie de la tribu et de l’Etat. Omaha Casino reçoit environ 90 000 clients par mois et employait en 1998 plus de 500 personnes dont 75% d’Indiens. La tribu a pu ouvrir une clinique, créer un centre d’accueil et de loisirs pour les jeunes, mettre en œuvre un programme contre l’alcoolisme, une banque alimentaire pour les personnes âgées, rénover les routes de la réserve, un entretien qui incombe pourtant au BIA. Il a été possible d’améliorer le système de distribution d’eau et de nettoyer plusieurs décharges sauvages. Les Omaha ont aussi en projet une ferme tribale. Ils ont fait de nombreux dons à des organisations charitables indiennes et non-indiennes.
WinneVegas Casino, installé sur un bateau ancré sur le Missouri en face de la ville de Sloan en Iowa, a permis aux Winnebago du Nebraska de créer des emplois et de financer sur leur réserve des infrastructures et des programmes sociaux indispensables. L’Etat d’Iowa autorise les jeux de classe III, alors que le Nebraska les interdit.
Des tribus ont pu racheter de la terre avec l’argent de leur casino, souvent une partie de leur territoire ancestral, des acquisitions d’une grande signification culturelle et spirituelle. Ainsi, les Winnebago du Wisconsin ont acquis un site de près de 300 hectares où se trouvent des mounds - des tertres funéraires vestiges d’une ancienne civilisation qui s’est développée entre -1 000 et 1 400. Plusieurs de ces sites archéologiques de très grande valeur, achetés par des fermiers, ont été arasés et labourés au cours de ces cent cinquante dernières années. Les Winnebago espèrent pouvoir en restaurer quelques-uns.
Les Pascua Yaqui d’Arizona ont acheté en 1996 une propriété d’une dizaine d’hectares dans la ville de Guadalupe, un terrain que la ville tentait sans succès de vendre depuis deux ans et que les Yaquis ont tout de même payé 800 000 dollars. Ce sont les bénéfices de leur casino situé près de Tucson qui ont permis aux Yaqui de faire cet achat et qui leur permettront de financer, au moins en partie, la construction d’une école et de divers équipements collectifs dont ils manquent totalement sur leur réserve. La ville de Guadalupe qui était pourtant bien contente de vendre au prix fort ce terrain dont elle ne faisait rien, s’oppose maintenant à ce qu’il soit mis sous statut fédéral - in trust statute - comme les Yaqui en ont fait la demande au ministre de l’intérieur, ce qui aurait l’avantage de protéger leur propriété et leur permettrait de recevoir un prêt du BIA pour les aménagements qu’ils veulent y faire. La ville de Guadalupe craint de perdre de l’argent. On sait que les activités qui se déroulent sur des terres fédérales échappent à la taxation des Etats et des villes.

Les achats de terres, encore très limités, réalisés par des nations indiennes avec l’argent de leurs casinos suscitent chez certains des inquiétudes que des politiciens n’hésitent pas à exploiter.
Début janvier 2 000, le procureur général de l’Etat du Connecticut déclare qu’il est probable que les Pequot vont finir par « annexer tout le Connecticut » si une cour fédérale approuve leur requête d’agrandir de 66 hectares leur réserve actuelle.
En août 1995, Bill Janklow, gouverneur du Dakota du Sud, avait déclaré devant une assemblée de citoyens blancs : « Les Indiens ont maintenant assez d’argent, grâce à leurs casinos, pour acheter toutes les terres qu’ils veulent, et ils ont un plan pour acquérir tout l’ouest du Dakota du Sud ». Quel plan ? Bill Janklow a été bien incapable de le préciser. Même s’ils en avaient l’intention, on ne voit pas comment les Indiens pourraient réunir assez d’argent pour acheter ces quelques 6 millions d’hectares de terres publiques et privées que représente la moitié ouest du Dakota du Sud. C’est aussi totalement méconnaître la politique des Lakota. Ils entendent faire reconnaître leurs droits sur leurs terres reconnues par traités et non racheter ces terres qui légalement leur appartiennent.


SANTEE DU NEBRASKA
Le 2 février 1996, les Santee du Nebraska ouvrent Ohiya Casino installé dans un ancien café, muni d’une dizaine de machines à sous et employant seize personnes. C’est dire que l’économie de l’Etat du Nebraska n’est pas gravement mise en péril.
Pourtant, le Nebraska demande aussitôt à NIGC d’ordonner la fermeture du casino santee, ce qui est fait en mai. Les 38 000 dollars gagnés par la tribu pendant les trois mois de fonctionnement du casino sont « gelés » à la banque par décision de justice. Le Nebraska prend argument du fait qu’aucun casino de classe III n’est autorisé dans l’Etat. Cependant, en plus d’une loterie d’Etat, le Nebraska autorise officiellement les pari-mutuels sur les courses, une Powerball Lottery, les jeux de keno dans les bars. Les Santee affirment que les autorités du Nebraska ferment les yeux sur de nombreux de casinos illégaux. Ils citent des jeux de casino organisés régulièrement par des éleveurs auxquels le gouverneur Benjamin Nelson a assisté à plusieurs reprises.
En juin de la même année, l’usine de produits pharmaceutiques, l’unique employeur de la réserve, ferme, faisant monter le taux de chômage à 70%. En août, les Santee décident de rouvrir Ohiya Casino, se mettant ainsi hors la loi. L’ « Arrêt Seminole » rendu au printemps 1996 interdit aux Santee de porter plainte contre l’Etat du Nebraska pour refus de négocier l’ouverture de leur casino.
Ces Santee/Dakota avaient été déportés du Minnesota vers le Missouri en 1862, après la guerre de Little Crow. Tandis que certains Santee parviennent dans les années 1880 à regagner le Minnesota, ce petit groupe de Sisseton venant d’une région de lacs et de forêts demeure isolé dans les plaines arides du Nebraska, coupé de ses tribus soeurs. La tribu ressent toujours douloureusement cet exil. Tous les témoignages concordent pour reconnaître leur courage et leur dignité et leur volonté de sortir de l’état de misère où ils se trouvent.
Il n’est pas inutile d’attirer l’attention sur certaines coïncidences.
Dans l’été 1996, le conseil tribal santee vote à une faible majorité l’acceptation de sa part de « Docket 74-A », l’indemnité pour la perte des territoires de chasse reconnus à la Grande Nation Sioux par le traité de Fort Laramie de 1868 et saisis illégalement en 1877 par l’Etat Américain (*). Cette décision soulève la réprobation des autres nations sioux. L’ordre de fermeture du casino, la fermeture de l’usine de la réserve appartenant à un non-Indien n’auraient-ils pas eu pour intention, en retirant aux Santee tous leurs moyens d’existence, de les acculer à accepter « l’argent de la honte », brisant ainsi le front uni opposé par les nations sioux à toute vente de leurs terres de traités ?
Mais la nation santee s’est heureusement reprise. En octobre 1996, le conseil tribal nouvellement élu avertit le BIA qu’il renonce à l’indemnité. « Notre peuple a eu honte », déclare le président du conseil tribal. « Nous avions peur d’être mis au ban de la Nation ». Le conseil, qui doit demeurer en fonction jusqu’à l’automne 2000, a constamment maintenu cette position courageuse.
En mars 1998, le président du conseil tribal écrit à la ministre de la justice Janet Reno pour demander que l’Etat fédéral exerce son devoir de tutelle en obtenant du Nebraska qu’il négocie les modalités de l’ouverture et du fonctionnement du casino santee. Mais rien ne vient.
En novembre 1998, puis en février 1999, une cour fédérale ordonne la fermeture du petit casino qui emploie à ce moment vingt-trois personnes. Le conseil tribal décide de résister et maintient le casino ouvert. Le président du conseil tribal s’attend à être mis en prison. Les Yankton assurent les Santee de leur soutien. Le jour de Thanksgiving 1998, une manifestation de solidarité regroupant plusieurs tribus du Nebraska et du Dakota du Sud est tenue devant Ohiya Casino.
Le 25 juin 1999, les conseillers tribaux santee sont inculpés de « refus d’obéissance à une décision de justice ». Ils sont menacés de prison, puis relaxés. Un juge a trouvé un autre moyen pour faire plier les Santee. Il inflige à la tribu une astreinte de 3 000 dollars par jour de retard à se conformer à la décision de fermeture, une somme que les Santee ne veulent ni ne peuvent payer. Au mois d’août, 86% des membres de la tribu décident par référendum de maintenir le casino ouvert. Alors le juge double l’astreinte, sans effet.
Début novembre 1999, le procureur général de l’Etat du Nebraska passe à l’action. Il obtient du ministère de la justice la saisie de tout l’argent que la tribu possède en banque afin de récupérer les amendes non versées qui se montent à plus d’1 million de dollars. Inutile de dire que l’argent qu’a rapporté le casino n’est pas sur ces comptes. Rendus méfiants par la saisie opérée en 1996, les Santee dépensent aussitôt les revenus, fort modestes d’ailleurs, de leur casino. C’est ainsi qu’une ambulance et une voiture de pompiers ont pu être achetées et un club de loisirs pour les jeunes créé. Une trentaine de familles santee ont pu être rayées des listes de l’aide sociale. L’argent gelé en banque est uniquement celui des programmes fédéraux pour l’éducation, la santé, la police, l’administration. Heureusement, en décembre 1999, une cour fédérale ordonne de débloquer une partie de cet argent sans lequel la tribu ne peut plus fonctionner.
Pour les Santee et les autres tribus qui se trouvent dans le même cas, une solution pourrait venir du ministère de l’intérieur. Celui-ci a fait savoir qu’il entend se substituer aux Etats quand ceux-ci refusent de négocier « de bonne foi » comme l’exige la loi, un contrat avec une tribu pour l’ouverture d’un casino. C’est ce que demandent les Indiens depuis des années. Cette décision aurait dû prendre effet dès l’été 1999, mais plusieurs Etats, dont le Nebraska et la Floride, ont porté plainte contre elle. Le ministère a cependant envoyé aux Etats du Nebraska, de Floride, du Kansas et de Washington un projet-modèle de contrat pour les tribus avec lesquelles ils ont refusé de négocier. Il y a cependant peu de chance que les Etats, jaloux de leur souveraineté, acceptent cet arrangement.
Enfin, nous apprenons que le 10 janvier 2 000, une proposition de loi a été déposée devant l’assemblée législative de l’Etat du Nebraska en vue d’autoriser les jeux de casino sur les réserves de l’Etat. « Rien dans les lois ou la constitution du Nebraska n’interdit à une tribu reconnue au niveau fédéral d’organiser des jeux de casino dans les limites de sa réserve (....) quand ces jeux sont conduits en accord avec les lois fédérales », déclare la proposition de loi. Le vote de l’assemblée pourrait intervenir en avril et, s’il est positif, la loi pourrait être soumise à référendum aux résidents de l’Etat en novembre prochain. (*)
Les Santee ne mènent pas seulement un combat économique, mais ils luttent aussi pour l’application pleine et entière de la loi de 1988 sur le jeu indien et l’affirmation de souveraineté des nations indiennes.


DES CONSEQUENCES NEGATIVES
L’existence des casinos risque de porter atteinte à la souveraineté des nations indiennes.
Les contrats conclus avec les Etats pour l’ouverture et le fonctionnement d’un casino obligent, par la force des choses, les tribus à se soumettre aux lois et exigences de ces Etats. On a vu que certains contrats, que l’on peut qualifier de « léonins », prévoyaient le versement à l’Etat d’une part importante des revenus du casino.
La police d’un casino échappe en grande partie à la tribu. Si, dans la plupart des cas, celle-ci a pu conserver son contrôle sur ses propres membres, il n’en est pas de même pour les non-Indiens et les Indiens d’autres tribus. C’est la police des Etats qui exerce alors les pouvoirs de police, sans préjudice des interventions du FBI, de la police des jeux, etc.
Tout ceci a dissuadé les Navajo d’ouvrir d’un casino. En 1994, puis à nouveau en 1997, les Navajo, à une large majorité, repoussaient l’implantation d’un casino sur leur réserve, malgré une campagne très agressive menée par plusieurs conseillers tribaux et qui avait coûté 50 000 dollars au budget de la nation. Le président du conseil tribal avait déclaré : « J’y suis fondamentalement opposé par souci de préserver notre souveraineté. Si nous voulons avoir un casino, nous devrons négocier des contrats approuvés par les Etats qui étendront leur autorité sur la Nation Navajo. Je ne crois pas que ce soit là l’intérêt de notre peuple ».

Il se peut que les casinos exacerbent les querelles internes, l’appât du gain, la jalousie, le népotisme au sein des tribus. Il ne faut cependant pas exagérer le péril.
L’exiguïté des communautés indiennes où chacun regarde vivre les autres rend difficile à des leaders corrompus de puiser dans les caisses du casino sans que les membres de la tribu ne s’en aperçoivent et ne s’en indignent. On connaît l’exigence des Indiens en ce qui concerne l’égalité et le partage, du moins pour ceux qui ont conservé certaines valeurs traditionnelles. En décembre 1995, les « bonus » versés aux conseillers et aux employés tribaux de la réserve de Pine Ridge, financés par le casino tribal après juste un an de fonctionnement, avaient fait scandale et n’ont pas été renouvelés. Les primes provenant de Prairie Knights Casino que s’étaient accordées les conseillers tribaux de Standing Rock deux ans plus tôt avaient suscité des manifestations d’hostilité sur la réserve. Les cas de détournements par des leaders et leurs proches existent, mais ils sont rares, plus rares qu’on ne pourrait s’y attendre dans des communautés vivant en état de grande pauvreté.
Certaines tribus ont pris la décision de distribuer à leurs membres une part plus ou moins grande des revenus de leur casino. Ainsi, le conseil tribal des Hunkpapa de la réserve de Standing Rock, Dakota du Sud, a décidé en 1994 d’affecter à des versements « per capita » une partie des bénéfices de Prairie Knights Casino. Mais l’argent ne sera versé qu’après le remboursement des 13 millions de dollars que la tribu doit au constructeur. De toute façon, les investissements collectifs viendront avant les paiements individuels. Depuis deux ans, les Hunkpapa touchent environ 50 dollars par personne, versés juste avant Noël.

Les Shakopee/Mdewakanton de Prior Lake, une tribu santee du Minnesota, n’ont pas eu la sagesse des Hunkpapa.
Dès l’ouverture de leur casino de Mystic Lake en 1988, les Shakopee/Mdewakanton décident par référendum d’affecter 70% des bénéfices à des paiements individuels. Aussitôt des dissensions apparaissent. Qui bénéficiera de ces versements qui se montent à plusieurs milliers de dollars par an ? Uniquement les membres de la tribu vivant sur la réserve ? Egalement ceux qui résident à l’extérieur ? Le conseil tribal élu en 1995 modifie les règles d’appartenance tribale. Le président est accusé d’avoir enrôlé indûment ses parents et amis et exclu des opposants, en particulier le clan familial de son principal adversaire politique. Des personnes appartenant à d’autres nations sioux ont été enrôlées à Prior Lake, sans pour autant abandonner leur tribu d’origine. La double appartenance tribale est pourtant interdite. Des Indiens des tribus « pauvres » cherchent à se faire admettre dans des tribus « riches ».
Comment le peu d’argent qui reste est-il employé ? Les principaux équipements collectifs dont la réserve de Prior Lake a lieu de s’enorgueillir sont un centre récréatif pour enfants dans le style Disney Land fonctionnant 24h/24h et un établissement très luxueux appelé Dakota Sport and Fitness. « Cela n’est sans doute pas inutile, mais n’y avait-il pas d’autres priorités ? » demandent des membres de la tribu. Une atmosphère détestable règne sur la réserve depuis que le casino a pris de l’extension. « Nous avons perdu notre culture et tout sens de la communauté. Les gens ne pensent plus qu’à l’argent », déplorent les Anciens et quelques rares traditionalistes.
L’exemple des Mdewakanton de Prior Lake n’est pas unique. Partout où fonctionne un casino quelque peu florissant, les services tribaux sont submergés de demandes d’affiliation auxquelles ils ne peuvent pas toujours résister. La tribu risque alors de ne plus être une communauté unie par une ascendance, une histoire, une culture communes, mais un simple groupement d’individus liés par des intérêts financiers.
En avril 1996, 484 membres de la tribu chippewa/saginaw qui en compte 2 600, apprennent qu’ils n’ont plus droit aux paiements individuels provenant des bénéfices du casino. Sur quels critères ont-ils été éliminés ? Les affiliations tribales s’étaient tellement accrues durant ces dernières années que la qualité de membre tribal avait perdu toute signification et était sujette à toutes les manipulations politiciennes.
WinneVegas Casino géré par les Winnebago du Nebraska ne rapporte pas autant que Ho-Chunk Casino, celui des Winnebago du Wisconsin installé à Black River. Il y a donc une forte demande des Winnebago du Nebraska pour se faire admettre chez leurs frères plus fortunés.
Des Santee, qui possèdent à Flandreau, dans l’est du Dakota du Sud, une très petite réserve, ont décidé d’affecter 40% des profits de Royal River Casino à des paiements individuels versés aux membres de la tribu résidant sur la réserve. Naturellement, les nombreux membres tribaux vivant à l’extérieur ont intenté un procès à la tribu. Les bénéfices du casino ont été mis sous séquestre par l’administration fédérale en attendant qu’une décision de justice résolve le conflit.
Par contre, les Omaha effectuent depuis huit ans des paiements « per capita » d’environ 1 500 dollars par an sans susciter apparemment de dissensions et tout en menant de remarquables réalisations collectives. Il semble que les difficultés apparaissent quand les versements individuels dépassent 20% des bénéfices d’un casino.
On voit qu’il n’y a que des cas d’espèce, ce qui montre à quel point il est difficile de porter un jugement global et définitif sur les casinos indiens.


DES ARGUMENTS MORAUX CONTRE LES CASINOS
L’entrée du casino tribal ne peut, à l’évidence, être interdite aux membres de la tribu. Est-il souhaitable que les familles indiennes aillent y jouer le peu d’argent qu’elles ont, laissant leurs jeunes enfants à la maison, ou confiés aux grands parents dans le meilleur des cas ? C’est ce que constatent les services sociaux, c’est ce que déplorent de nombreux traditionalistes indiens soucieux de la bonne santé sociale et morale de leur peuple.
Les casinos sont souvent accusés de favoriser l’alcoolisme au sein d’une population indienne déjà si durement touchée par ce fléau. La question se pose quand une tribu ouvre un casino : y vendra-t-on de l’alcool ? L’alcool est toujours associé à l’idée de fête et un casino est avant tout un lieu de plaisir. Un bar et un restaurant y sont toujours adjoints. Des casinos indiens ont fait leur réputation sur la qualité de leur restaurant. Comment peut-on y interdire le vin, la bière, les alcools forts ? Beaucoup de tribus ont accepté la vente d’alcool dans leur casino comme un mal inévitable. D’autres, par souci de protéger leur population, s’y sont opposés. Ainsi, Prairie Winds Casino sur la réserve de Pine Ridge, est un casino « sec » comme l’est d’ailleurs l’ensemble de la réserve avec pour le moins, il faut le dire, des résultats mitigés. La contrebande d’alcool y est très importante et, il faut le dire aussi, insuffisamment réprimée.
Les Minnecoujou de la réserve de Cheyenne River, au Dakota du Sud, avaient en projet un casino comportant un important complexe de loisirs sur les rives du lac Oahe, le long du Missouri. Quand la banque avec laquelle la tribu négociait un prêt a connu l’intention des Lakota d’interdire la vente d’alcool dans leur futur casino, elle a estimé qu’un établissement aussi austère « ne pourrait attirer une clientèle de sportifs » ( !). Elle s’est donc retirée de l’affaire qui a finalement échoué. La tribu s’est contentée d’ouvrir un petit casino dans le Super 8 Motel situé près d’Eagle Butte, la capitale de la réserve, une solution peu satisfaisante. Chaque fois qu’ils le peuvent, les Lakota évitent d’installer un casino à proximité de leurs communautés les plus peuplées. Ils s’efforcent ainsi de limiter les cas de dépendance au jeu, si préjudiciables aux familles indiennes.
Les Lakota de Cheyenne River avaient toutefois une autre possibilité pour implanter un casino. La tribu possède près de Pierre, la capitale de l’Etat du Dakota du Sud, un terrain sous statut fédéral acquis au moment du passage de la loi de Réorganisation indienne de 1934. Ce serait une situation idéale pour un casino, loin de la tribu, près des habitants de Pierre, clients potentiels. Naturellement, l’Etat du Dakota du Sud ne veut pas en entendre parler. Alors, en 1992, le conseil tribal menace d’y installer non pas un casino, mais une décharge, disant qu’il sera facile de trouver des entreprises trop heureuses d’y déposer des déchets, toxiques de préférence, ou des centrales nucléaires enchantées d’y mettre leurs déchets radioactifs. Ce serait tout bénéfice pour les Lakota de Cheyenne River qui toucheraient des royalties, tout en étant à l’abri de la pollution ! La menace a dû porter car l’Etat a aussitôt cessé de manifester son opposition au casino. Depuis huit ans, rien n’a été fait - ni décharge, ni casino - et il y a peu de chance que cette amusante opération se réalise (humour indien, peut-être ?). Mais le président du conseil tribal, en poste depuis bientôt dix ans, se plaît de temps en temps à en agiter la menace .....


CASINOS SUR PINE RIDGE ET ROSEBUD
Voyons comment deux nations lakota, les Brulé et les Oglala, vivent l’aventure des casinos.
En 1994, un casino est ouvert sur la réserve des Brulé de Rosebud, au Dakota du Sud. Il est construit au sud de Mission, en plein cœur de la réserve, près de l’autoroute 83, sur une ancienne propriété privée qui, à la suite d’un échange, a acquis le statut de « trust land ». Les gestionnaires de Rosebud Casino (BBC Entertainment) sont membres de la tribu. Environ 120 employés ont été recrutés, alors que plus de 400 personnes, presque toutes membres de la tribu, avaient postulé. Le contrat passé avec BBC Entertainment accorde 65% des bénéfices à la tribu et prévoit que celle-ci en deviendra propriétaire dans cinq ans. Il ne semble pas pourtant, en ce début d’année 2 000, que ce transfert de propriété ait déjà été effectué. Situé loin des villes et des grandes voies de communication, il ne peut se développer et demeure un casino peu rentable.
Depuis que les Brulé disposent d’un peu d’argent, ils ont acheté un beau ranch de 8 500 hectares, Mustang Meadow Ranch, pour 2,8 millions de dollars, ce qui a englouti les bénéfices du casino sur plusieurs années. Ce ranch, situé hors de la réserve au sud-ouest du comté de Todd, a d’excellentes prairies et peut nourrir trois mille têtes de bétail. Les Brulé ont demandé au ministre de l’intérieur de mettre cette propriété sous statut fédéral, mais l’arrêt de 1996 de la 8ème Cour d’appel rendu au détriment de leurs voisins de Lower Brulé pourrait bien empêcher cette opération.
La tribu avait également en projet de rénover les maison de la réserve datant d’avant 1960 et qui tombent en ruine, les services du BIA ne parvenant à en rénover que dix par an. Mais le casino rapporte trop peu pour mener à bien cette opération pourtant si nécessaire.

Les Oglala de la réserve de Pine Ridge ont connu un parcours assez différent.
En juin 1994, un référendum était organisé sur la réserve pour faire du bingo tribal un casino de classe III utilisant des machines à sous. Des voix de traditionalistes et d’Anciens - en particulier celles de la Grey Eagle Society et des conseils de districts de Kyle et d’Eagle Nest - s’élevaient contre ce type de casino, redoutant des retombées sociales et morales négatives sur une société oglala souffrant déjà de si nombreux dysfonctionnements.
Résultats du référendum : une forte majorité de « oui ». La répartition de ces votes est intéressante à observer en détail. La très grande majorité des « oui » vient de Pine Ridge-Village - l’ancienne agence de la réserve - et de Manderson, les districts les plus peuplés et les plus « modernes ». C’est là que résident ceux qui, pour diverses raisons, estiment avoir le plus de chances d’obtenir un emploi au casino. Des communautés plus traditionalistes comme Wounded Knee, Wakpamni, Allen et surtout Kyle et Eagle Nest, souvent qualifiées de « districts extérieurs » ont donné une majorité de « non ».
En décembre 1994, Prairie Winds Casino est ouvert sur la bordure ouest de la réserve, près de l’autoroute 385, entre Oglala et Oelrichs. De nombreux touristes empruntent cette autoroute qui mène vers les Black Hills. Cette implantation, volontairement très excentrée, éloigne le casino tribal des communautés oglala les plus peuplées - toujours la crainte de la dépendance au jeu.
Avant même d’avoir reçu l’autorisation officielle d’ouvrir, le casino s’était installé dans des bâtiments préfabriqués, employant environ 120 personnes, presque toutes Oglala. Plus de 1 000 Oglala avaient postulé pour un emploi au casino, montrant ainsi que, contrairement à ce que prétendent les ennemis des Indiens, ceux-ci souhaitent travailler et ne sont pas ces paresseux assistés si souvent décrits.
Le contrat passé avec le Dakota du Sud prévoyait que la police de l’Etat aurait autorité sur les non-Indiens qui commettraient des délits au casino, bien que les Oglala exercent leur propre police sur leur réserve. La tribu a souhaité renégocier ce contrat afin de pouvoir exercer ses prérogatives de police, mais l’Etat a alors, en manière de rétorsion, diminué le nombre de machines à sous autorisées dans le casino. En décembre 1995, Prairie Winds Casino recevait de NIGC l’autorisation officielle de fonctionner après approbation du contrat conclu entre la tribu et la firme Turn Key Gaming Inc.
Le casino aurait dû s’installer dans des bâtiments définitifs dans l’été 1996. Mais la construction a pris du retard et s’est avérée beaucoup plus coûteuse qu’il n’était prévu. La tribu a intenté au constructeur, pour rupture de contrat, un procès qu’elle n’est pas certaine de gagner. Le casino fonctionne donc toujours dans les bâtiments provisoires. Les Oglala ne peuvent ni ne veulent financer les installations somptueuses dont certains casinos se sont dotés.
Certains Oglala proposent de déplacer le casino tribal à Cedar Pass, à l’entrée du parc des Badlands au nord de la réserve, où les Oglala gèrent déjà un hôtel, un restaurant, des boutiques d’artisanat. Mais il faudrait, pour effectuer une telle opération, de l’argent que la tribu est bien loin d’avoir en ce début d’année 2 000 où l’on apprend que les dettes d’Oglala Lakota Tribe pourraient dépasser 8 millions de dollars.


QUEL AVENIR POUR LES CASINOS INDIENS ?
Les casinos indiens permettent de gagner facilement de l’argent. Ils ne s’appuient nullement sur les vertus et les savoir-faire particuliers du peuple indien. Leur réussite risque même de détourner les Indiens de rechercher d’autres voies de développement mieux en accord avec leur culture, leurs traditions et leur génie propre. Il a été dit, pour justifier les casinos indiens, que les jeux de hasard ont toujours fait partie de la vie indienne. C’est vrai, mais les jeux qui se pratiquaient durant les longues soirées d’hiver et qui permettaient à quelques objets et à quelques chevaux de changer de main n’ont rien à voir avec les jeux de casino. Ces jeux indiens traditionnels, remis à l’honneur dans de nombreuses tribus, connaissent actuellement une large expansion.
La multiplication des casinos indiens peut entraîner leur perte. Déjà les statistiques de 1996 faisaient apparaître une légère diminution de leurs profits pris dans leur ensemble. C’est une source de revenus qui peut se tarir et peut-être rapidement. Un certain nombre de casinos indiens ont été contraints à la fermeture, ou sont menacés de l’être, par l’adoption par le Congrès de lois hostiles et à la suite de décisions de justice. Il ne faut pas oublier que la Cour suprême des Etats-Unis est depuis ces dernières années majoritairement hostile aux intérêts indiens. La clientèle des casinos indiens peut plafonner, puis se réduire, sollicitée par d’autres formes de jeux.
C’est pourquoi de nombreux leaders indiens affirment que l’argent rapporté actuellement par les casinos doit être mis dans des investissements utiles à la tribu sur le long terme : éducation, santé, habitat, achat des terres, création d’entreprises, protection et reconstitution du milieu naturel, plutôt qu’à l’achat de biens périssables et à la distribution d’argent à titre personnel, ce qui ne peut entraîner que conflits et jalousies aux sein des communautés indiennes.

(*) Il ne faut pas confondre « Docket 74-A » qui représente l’indemnisation pour la perte des territoires de chasse reconnus aux Sioux par le traité de Fort Laramie avec « Docket 74-B » qui représente l’indemnité pour la perte des Black Hills. Les Santee n’avaient donc pas « accepté de vendre les Black Hills », comme cela leur a été abusivement reproché.
(*) Les Santee ont finalement pu rouvrir leu casino.
Juin 2 000

Recherche documentaire et rédaction du dossier : Monique Hameau

Sources : Articles parus dans « Indian Country Today » depuis 1992
« L’Entaille rouge », Nelcya Delanoe, éditions Albin Michel
« Les Guerres indiennes », Hutley & Washburn, éditions Albin Michel
« L’Epopée des Peaux Rouges », Jean Pictet, éditions du Rocher.

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